
Ce matin, pendant mon petit-déjeuner, j’ai allumé la radio et sur Radio Rai 3 – le troisième programme national italien qui est un peu l’équivalent de France Culture dans l’Hexagone – on transmettait une de mes transmissions préférées, Uomini e Profeti, (Hommes et Prophètes). Les thèmes abordés dans cette émission concernent la spiritualité, les grandes questions, l’art : c’est le le frère italien des Racines du Ciel, que j’aime tout autant depuis toujours. En sirotant mon thé, j’ai écouté le philosophe Nicola Zippel raconter comment il transmet la philosophie aux enfants de l’école primaire. Vous pouvez écouter le podcast de cette conversation : si vous comprenez l’italien, ça vaut la peine de l’écouter jusqu’au bout.
En écoutant les petites voix des enfants exprimer des pensées profondes et vieilles comme le monde, mon cœur s’est ému. Et l’émotion que j’ai éprouvé avait quelque chose de nouveau, elle a éveillé ma curiosité. Comme je conseille souvent à ceux qui pratiquent le Qigong avec moi que pour comprendre nos émotions la meilleure chose à faire c’est de les ressentir par l’entremise du corps, en les suivant pas-à-pas, de cellule en cellule, c’est ce que j’ai fait. J’ai alors senti/vu mon cœur s’ouvrir de façon presque invraisemblable – une sensation à la limite entre l’extase et une étrange douleur – et je me suis souvenue d’une Âmeimage qui s’est formée dans mes mains il y a quelques jours, et que jusqu’à ce matin je n’avais pas encore tout à fait bien comprise. C’est l’image qui ouvre cet article. Je souris, parce que par un étrange jeu du destin cette Âmeimage contient aussi deux œufs… et comme demain c’est Pâques, elle est parfaitement synchronisée avec cette période de l’année… et j’en profite pour vous souhaiter une véritable renaissance intérieure.
Hier, tout à fait par hasard, j’ai ouvert un carnet où j’écris les vers qui émergent spontanément, de temps en temps, dans ma tête – il s’agit presque à chaque fois d’un haiku. J’aime beaucoup cette forme poétique, en raison de sa brièveté : un haiku se compose de trois lignes, de 5-7-5 syllabes respectivement. La métrique concise d’un haiku nous oblige à dire tout dans un presque rien d’espace. Je ne crois pas avoir de vrai talent poétique : un haiku est pour moi une sorte de note fulgurante que je prends lorsqu’il m’arrive quelque chose de signifiant, qu’il serait dommage de laisser s’envoler sans en garder au moins une trace. En relisant ces quelques mots par après, je peux ainsi revivre l’émotion qui les a fait naître. Le haiku qui m’est sauté aux yeux hier je l’avais écrit (en italien) il y a des annéées. En français, la métrique 5/7/5 n’est pas respectée, mais tant pis! Le voilà: Essaye de poser / ton cœur dans ta tête / Des portes s’ouvrent. En fait, je sens que l’ordre «correct» des mots, pour qu’il soit aligné sur ce que j’éprouve maintenant, est plutôt le suivant:
Essaye de poser
Ta tête dans ton cœur :
Des portes s’ouvrent.
C’est exactement cela que l’Âmeimage ci-dessus illustre : j’ai reconnu en moi la présence en germe (l’œuf) de la Sagesse à l’intérieur même du petit mental, du petit moi séparé et dualiste (les œufs sont deux), de ma capacité de raisonnement limitée et hésitante. Entendre des enfants de moins de dix ans philosopher avec une Sagesse véritable a écarquillé mon cœur. Assister à l’aube de la Sagesse dans ces jeunes esprits m’a beaucoup touché. Pendant des années j’ai suivi des philosophies qui discréditent le mental en l’accusant d’être le réceptacle des conditionnements et le siège de l’effroyable égo. Rien à redire à cela, d’un certain point de vue ; toutefois, récemment j’ai découvert qu’il est inutile, voire dangereux, de mépriser et d’essayer de se débarrasser du «petit», du «borné», pour lui préférer, par un acte forcé de la volonté, le «vaste», le «transcendant». J’ai découvert une façon infiniment plus simple et poétique de m’ouvrir à la Grâce de la Source des Dix mille êtres, soit au De du Dao (je cite le Dao De Jing!), comme le dirait un taoïste ; en d’autres mots, il s’agit de reconduire le petit moi dans le Nid de l’Âme, l’accueillir dans l’espace illimité et aimant du cœur ému.
Ce matin, en suivant les traces de l’émotion dans mon corps, j’ai fait une autre découverte, à mon avis fondamentale : le point de rencontre entre la Sagesse et l’Amour est l’Émerveillement. Essayez vous-mêmes : la prochaine fois que vous verrez/entendrez/vivrez quelque chose qui vous subjuque, qui vous ébahit, faites attention à votre respiration. Le Merveilleux en nous s’exprime toujours par une inspiration sonore et profonde ; la bouche s’ouvre, en synchronie avec le cœur, et d’habitude il en sort un son aspiré, un «AH» prolongé. Qui sait pourquoi 😉 se son est presque pareil à celui que les pratiquants du Qigong des Six Sons (Liu Zi Jue) utilisent pour harmoniser l’Organe Cœur et son Méridien. Il existe une autre émotion qui provoque en nous une inspiration soudaine et rapide, mais qui serre le Cœur : la peur.
L’Émerveillement et la Peur nous poussent à avaler une bonne gorgée d’air pour nous mettre en mouvement: la peur nous fait fuir en vitesse (si elle ne se transforme pas en terreur, car alors elle nous fige sur place), alors que l’émerveillement nous pousse à la com-motion, c’est-à-dire que cette é-motion lumineuse reste à notre côté, et bouge AVEC nous, elle éclaire notre chemin tout en mettant quelque chose en mouvement à l’intérieur de nous. L’émerveillement nous conduit à la découverte de nouveaux paysages de l’Âme, de nouveaux espaces à explorer. L’Émerveillement serait donc l’antidote naturel de la peur? Voilà une pensée sur laquelle nous pourrions philosopher… et voilà que l’on revient à la Beauté qui guérit, à la Beauté qui s’avère être un outil précieux pour à la fois raisonner et ressentir. Un exemple parmi tant d’autres : si je suis émerveillée par ta «diversité», je ne peux pas avoir peur de toi. Mon rapport avec toi sera totalement différent. Une petite remarque polémique : ceux qui ont essayé et essayent encore d’abolir l’enseignement de l’Histoire de l’Art et d’autres activités créatives et artistiques dans les écoles (oui, oui, en Italie ça arrive!) ont peut-être peur de la force libératoire et unifiante de la Beauté et de la Créativité ; ou bien ont-ils tout simplement perdu la capacité de s’émerveiller et ils ont cédé par inertie à l’attrait illusoire de l’argent et du pouvoir? Ou les deux choses à la fois?
Comment guérir cette incapacité à s’émerveiller? On peut par exemple se rendre compte que notre Mental rationnel limité peut sereinement admettre sa propre inaptitude à comprendre l’infini et l’inexprimable sans l’aide du Cœur. Un taoïste dirait que le Dantian Supérieur (celui qui est logé dans la tête) et le Dantien Médian (logé dans la poitrine) doivent être harmonisés entre eux, jusqu’à ce qu’ils deviennent une énergie unifiée incarnée dans un corps humain (dans le Dantian Inférieur du ventre). En d’autres mots (et images) – plus accessibles à ceux qui ne pratiquent pas le Qigong – le mental rationnel et analytique peut se blottir dans le nid doux et chaud du cœur, en gagnant ainsi la capacité d’embrasser sans perdre celle de discerner. Le «petit moi» découvre ainsi qu’il est un instrument magnifique au service de quelque chose de beaucoup plus vaste. Les deux ensemble – mental et cœur (qui en chinois sont exprimés par un concept unique, Xīn 心, dont le pictogramme originel se dessinait ainsi : ) révèlent leur noble origine commune, soit le Dao/Tao, la Source mystérieuse de tout ce qui existe.

Ce matin j’ai finalement compris un peu plus une autre Âmeimage que j’ai créée il y a quelque temps, et que j’avais instinctivement intitulée Le témoin d’Hermès. Le fleuve de galaxies et d’étoiles qui se déverse sur le personnage féminin vu de dos pourrait justement être l’Émerveillement, qui réunit le dessus et le dessous, l’intérieur et l’extérieur, la raison et le sentiment, le mental rationnel et l’Âme intuitive, et pas seulement. Si nous sommes enclins à agir de façon plus rationnelle, nous pourrions poser notre cœur dans notre tête ; si, au contraire, nous avons plus d’affinité avec les émotions et les sentiments, nous pourrions blottir le mental dans notre cœur. Il y a une solution harnonieuse pour tous.
Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut. Et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour réaliser les miracles d’une seule chose.
C’est une vérité qui nous a été transmise par Hermès Trismegiste pour nous rappeler qu’il existe en nous un espace intime, habité par la Conscience, la Présence – un Témoin silencieux. Dans son regard, dans NOTRE regard, les contraires s’unissent et nous révèlent que tout provient d’une seule et même Source mystérieuse, dont le parfum arrive jusqu’à nous lorsque nous nous émerveillons.